Pour une Psychologie Concrète … 1/2

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Ce sont certainement quelques séances récentes qui influencent ce nouveau billet : le constat désolé de combien les croyances que l’on forge au fil des années, la façon dont on comprend les choses autour de soi, peuvent devenir des  systèmes de pensées verrouillés, harcelants. La souffrance peut être déjà importante quand on est « l’auteur » de ses propres pensées (il y a à débattre bien sûr avec cette formule), mais que dire quand ces mêmes pensées sont induites par d’autres, souvent « bienveillants » (comme cette personne à qui un médecin annonce, impératif et sans plus d’éléments factuels, que sa myopie est liée à un conflit avec sa mère à l’âge de 4 ans … cette phrase prononcée il y a bien des années produit encore aujourd’hui des effets cataclysmiques : des interrogations sur ce qu’il a bien pu se passer, l’impossibilité d’en parler, et la culpabilité qui accompagne l’imagination (quels actes traumatisants ou délictueux)  ! Les mots peuvent provoquer des dommages durables et nombre de personnes qui ont un rapport de soins avec autrui devraient en prendre la mesure 

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L’inutilité pratique et théorique de la psychanalyse (qui fut pourtant le fonds de ma culture universitaire) m’est apparue avec la lecture de quelques ouvrages qui furent pour le moins déstabilisants : 

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Bien qu’il n’y ait pas une chronologie dont je sois certain, citons d’abord des textes sur le bouddhisme (une sensibilité due à ma longue pratique des arts martiaux japonais), et peut-être même plus particulièrement sur le bouddhisme Tantrique (qui est vraiment à mille lieux de ce que l’on pourrait imaginer !) : une déconstruction sans concession des croyances et un placement dans l’instantanéité du moment vécu. On peut voir à ce sujet  les interventions d’Eric Barret ainsi que ses ouvrages, mais aussi les textes de Jean Klein (que j’ai découverts dans la revue 3ème Millénaire). Et puis bien sûr, le travail de François Roustang avec son recueil d’articles et de textes : La Fin de la Plainte … un ouvrage aux multiples aspects avec critiques argumentées de la psychanalyse, rélexions sur la position de thérapeute, sur ce qui provoque le changement, l’intérêt de l’hypnose, ainsi que cette idée avancée de l’effet délétère de trop de « psychologisation » dans les interventions thérapeutiques : une révolution intellectuelle 

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La suite logique fut l’Ecole de Palo Alto, une approche thérapeutique centrée sur l’analyse des interactions et de la communication, et son meilleur ambassadeur est certainement Paul Watzlawick, qui fut à la fois un des fondateurs et celui qui présentait la théorie de cette approche avec le plus de brio dans des ouvrages, souvent divertissants et accessibles comme l’est « la réalité de la réalité ».

Il y illustre de façon édifiante par quels mécanismes simples une superstition ou un comportement névrotique peuvent s’installer (en voyant par exemple une action, sans lien avec l’objectif poursuivi, couronnée par hasard d'un succès, et qui se voit alors répétée continuement). Il y relate aussi les expériences du Pr Alex Bavelas qui arrivent à faire croire à des personnes que des phénomènes (totalement aléatoires) ont une logique qu’il est possible de percer, et de les laisser chercher et trouver une explication : il en ressort qu’une fois que des personnes ont une théorie sur une question, une croyance, elle est bien difficile à invalider  (quand bien même on leur prouve que l’expérience était conçue pour être totalement imprédictible !) ; pire : plus la théorie est compliquée, plus elle est solide ! d’où le titre d’un des articles « plus c’est compliqué, mieux c’est ».

Plus c’est compliqué, mieux c’est ! : c’est un peu ce à quoi je me confronte chaque jour … la solidité des croyances des personnes qui viennent me consulter et qui attendent néanmoins de moi d’alléger leurs souffrances et leurs difficultés de vie ; et ce travail, parfois long, de reconstruction de la vision du monde, de libération de schémas mentaux invalidants, fait une place à l’hypnose tantôt comme accélérateur, tantôt comme catalyseur, du processus de changement. Souvent, les maux dont nous souffrons sont simples (par les phénomènes qui les produisent) mais complexes (par la façon dont nous les interprétons), ce qui est mieux que quand ils sont par nature complexes et douloureux, ce qui arrive malheureusement trop souvent … 

Tâchons, en tant que thérapeutes, de ne pas compliquer les choses plus qu’elles ne le sont : c’est l’enseignement que je retiens de ce philosophe, mort trop jeune (fusillé au Mont Valérien), qui fit une critique radicale de la psychanalyse (de son manque de fondements scientifiques, des fantaisies intellectuelles complexes qui noient la réalité du vécu, de l’absence de prise en compte des déterminants sociaux et des conditions de vie), à une époque ou peu avaient une telle vision, et qui a posé les bases d’une « psychologie concrète » fondée sur l’expérience vécue par les personnes, leur « drame ». Il s’appelait Georges Politzer.

© Jean-Philippe Véron 2015