A la mémoire d’Elsa Gindler 1/2


C'est en pensant à tous ceux qui suivent mes cours depuis quelques années que j'écris ces lignes : une façon pour moi de rappeler l'histoire dans laquelle s'inscrit cette méthode particulière qu'est la Gymnastique Holistique développée par le Dr Lily Ehrenfried.

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C'est en 1913 que l'histoire débute pour Lily Ehrenfried (1896-1994) quand, influencée par sa mère, elle découvre les cours d'Elsa Gindler, à Berlin, ce qui va transformer sa vie. Jeune élève assidue et motivée, elle demande après quelques années à son professeur de suivre une formation particulière en vue d'enseigner elle-même et ce n'est qu'en 1916 qu'elle la convainc d'ouvrir une telle session. Plus tard, Lily Ehrenfried entreprend des études de médecine, trouve un travail dans un centre orthopédique pour enfants où elle monte avec succès des cours qui s'inspirent de ceux reçus chez son professeur. Au moment de la montée du nazisme elle fuit Berlin pour la France, y sera arrêtée puis internée au camps de Gurs (dont elle s'échappe pour vivre dans la clandestinité). Après la guerre, elle reste en France. Ne pouvant faire valoir ses diplômes elle obtient le titre de kynésithérapeute, et c'est à Paris qu'elle travaillera et donnera ses cours jusqu'à un âge avancé, formant ainsi de nombreux élèves.

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Comprendre la particularité de l'approche proposée par la gymnastique holistique du Dr Ehrenfried c'est saisir l'originalité de celle de son professeur. Elle écrit (dans le seul livre qu'elle écrivit : la Gymnastique Holistique - de l'éducation du corps à l'équilibre de l'esprit, p 138) : 

"Elsa Gindler (...) a été la première à comprendre que des exercices exécutés mécaniquement ne produisaient jamais de changements définitifs, c'est à partir de cette expérience qu'elle développa son enseignement ».


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Elsa Gindler (1885-1961) est Berlinoise. Originaire d'une famille modeste, elle commence à travailler dès l'âge de 14 ans et c'est pendant ses moments de repos qu'elle participe aux premiers mouvements organisés pour la jeunesse où sont proposées des activités gymniques. C'est avec Hedwig Kallmeyer qu'elle se forme. En 1912 elle commence à remplacer son professeur et à donner ses propres cours.

Hormis le témoignage de ses élèves, ainsi qu'un écrit datant de 1926, rien ne subsiste des notes de travail d'Elsa Gindler (tout ayant brûlé pendant les bombardements de Berlin en 1945). Mais de ces témoignages ressort l'image d'une personne extraordinaire, en avance sur son temps (et dont nous verrons plus loin les influences nombreuses qu'elle eues), qui écrivait (citation extraite du cahier No 7 & 8 de l'Association des Élèves du Dr Ehrenfried, p 9) : 

"il m'est difficile de parler de gymnastique, car le but de mon travail n'est pas d'enseigner des mouvements, mais que mes élèves deviennent conscients".

On est donc bien loin d'une simple pratique gymnique, ou même corrective, car c'est l'individu dans son ensemble qui l'intéresse. 

Dans les années 20, son travail évolue avec la rencontre du musicien et psychologue Heinrich Jacoby avec lequel la collaboration ne cessera. Elle forme ainsi de très nombreux élèves et, en 1933, pendant les heures sombres de l'Allemagne, beaucoup fuiront à l'étranger favorisant ainsi la diffusion des enseignements (aux Etats Unis, en France, dans ce qui sera l'état d'Israël) et, pour ce qui concerne Heinrich Jacoby, en Suisse, où il continuera à animer le stage d'été avec Elsa Gindler. 

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En France, ce sont Lily Ehrenfried et Alice Aginsky qui feront connaître son approche. Cette dernière, formée moins longtemps par Elsa Gindler directement et davantage par l’une de ses élèves (Gertrud von Hollander), écrit sur la fin de sa vie deux livres (Le chemin de la détente en 1994, puis Rééducation fonctionnelle guidée à partir du chemin de la détente en 2000). C'est un plaisir de constater à travers, d'une part, les cours dispensés par l'AEDE (ou plus directement à partir des écrits et notes de cours de Lily Ehrenfried) et, dans les livres de la seconde d'autre part, combien l'esprit est proche, les propositions de mouvements souvent identiques (tout en notant la façon bien séduisante d'Alice Aginsky de recycler les vieilles bouteilles de Champagne !) : leur socle commun c'est l'enseignement d'Elsa Gindler.

Quand on reprend le seul article qui reste de ses écrits (La gymnastique de l'homme qui travaille, en 1926) elle débute en abordant l'ambigüité de sa méthode qui pour elle va au delà des méthodes traditionnelles enseignées  : 

"il m'est difficile de parler de gymnastique étant donné que mon travail ne vise pas l'apprentissage de mouvements déterminés, mais la concentration. 

Un fonctionnement irréprochable de l'appareil corporel en corrélation avec la vie de l'âme et de l'esprit n'est possible qu'à partir de la concentration".

Les mots sont concis (on les penserait tirés d'une tradition orientale, ce qu'ils ne sont pas !), la pensée précise, et l'essentiel de sa démarche est écrite. 

De quelle façon aborde t-elle son approche ? En 3 aspects : en portant une attention particulière à la respiration (et de l'associer judicieusement au mouvement), en cherchant à défaire les tensions musculaires pour trouver relâchement et détente, en recherchant un bon équilibre dans le tonus afin de favoriser le dynamisme (notons aussi que le premier aspect, la respiration, occupe 90 % de l'article ...).

Si l'on s'intéresse maintenant au livre de Lily Ehrefried (écrit en 1956), son travail, visant la transformation globale de l'individu dans ses mouvements et son psychisme, y est aussi présenté autour de 3 principes : la respiration, l'équilibre, le tonus. Elle écrit (p 19) : 

"l'être humain vaut ce que vaut son mode respiratoire"

Enfin, lorsque on lit Alice Aginsky (dont la trame du texte est davantage organisée autour de la présentation d'exercices pratiques) on y découvre aussi les axes qu'elle suit : caler une respiration calme sur les mouvements et réguler le tonus pour abandonner les contractions inutiles.

Finalement c'est une même ligne directrice qui se définit : amener le changement par des mouvements où la conscience est centrée sur la respiration qui accompagne la sensation du mouvement en train de se faire,  la recherche d'un équilibre entre tonicité et détente, la libération de la posture des contraintes inutiles.

(à suivre … et de découvrir l’influence d’Elsa Gindler sur le courant psychanalytique)

© Jean-Philippe Véron 2015