Ce texte fait suite à un précédent billet accessible ici.
Georges Politzer, l'auteur de la formule "Psychologie Concrète", est né en 1903 en Hongrie où il réalise de brillantes études. Déjà engagé politiquement, la révolution amène la famille à fuir vers la France et, une fois installé à Paris, il entreprend des études de philosophie, obtient l'agrégation, puis enseigne dans des lycées. Par la suite son engagement politique continue, il adhère au parti communiste en 1929 pour lequel il écrit de nombreux textes. Entré dans la clandestinité pendant la seconde guerre mondiale, il est arrêté, puis fusillé au Mont Valérien en 1942.
C'est donc en philosophe que Georges Politzer porte un regard sur la psychologie, et la psychanalyse en particulier ; un regard éclairé car sa biographie atteste qu'il a suivi des séminaires de Freud à Vienne et ses écrits montrent combien il maîtrise les concepts de cette discipline. Son principal texte s'intitule "Critique des fondements de la psychologie", paru en 1928 (il n'a que 25 ans quand il l’écrit !) et déjà l'on saisit l'ambition qui l'anime puisque ce livre n'aurait été que la première partie d'un ensemble plus complet (les Matériaux), suivi d'un second volet portant sur la Gestalt, et d'un dernier sur le Behaviorisme. Le temps lui a manqué pour achever son projet.
Cet ouvrage est donc une critique, très pointue, des méthodes de la psychologie : un domaine qui se veut être une science, perdu entre le positivisme des sciences de la nature (physique, médecine, etc.) et les outils de l'introspection inadaptés pour objectiver ce qui est pensé, vécu, ressenti. Cette "nouvelle" science, à l'époque, en cherchant l'objectivité perd l'essentiel : le sujet.
Et si la critique porte principalement sur la psychanalyse dans ce premier volet, c'est d'abord parce que Georges Politzer reconnaît à Freud le mérite d'avoir replacé l'expérience du sujet au centre de sa méthode, et de proposer ainsi une véritable avancée dans le dilemme des méthodes de la psychologie. Néanmoins, il démontre comment Freud, cherchant à théoriser sa démarche, crée un ensemble de concepts abstraits qui occultent l'expérience du sujet, retombe dans les travers de la psychologie "classique" et, plus grave, fait prendre les concepts pour l'expérience. La Critique s'appuie sur une lecture fine du texte de Freud "le rêve et son interprétation" (mais pas seulement, car on y trouve beaucoup de références aux principaux ouvrages accessibles à l'époque) et toutes les élaborations théoriques y sont décortiquées : le désir, le contenu manifeste et le contenu latent, la topique, la justification de l'inconscient ... pour en montrer l'impasse épistémologique, l'inutilité théorique et pratique (attention les arguments sont ardus et réservés à un public averti).
Ce n'est qu' à la fin de l'ouvrage que Georges Politzer dévoile un peu mieux ses idées sur une "psychologie concrète" : une approche débarrassée de toute abstraction (un discours de second degré sur une expérience ou une observation) pour privilégier l'expérience vécue du sujet, à la fois une action et un récit, le tout dans un contexte particulier (un moment historique, des conditions sociologiques, ...) : un sens donné par une expérience à la première personne. Donc, pour l'auteur sa proposition n'est en rien une technique d'introspection (car pour lui la notion de vie intérieur est une impasse, tout comme celle d'inconscient), ni d'observation par un sujet placé à "l'extérieur du système" (autre impasse théorique) mais davantage un récit humain d'une expérience humaine exprimé par un "je" au présent. D'où cette notion de "drame" (qu'on aurait aimé lui voir développer) et qui est au centre de sa psychologie : la vie concrète dans toutes ses composantes, c'est à dire un geste, une action, un mouvement, auquel le sujet donne un sens, dans un contexte particulier.
Je crois que mes études de psychologie auraient eu un tout autre contour si ce brillant esprit avait pu achever son travail ... heureusement d'autres expériences m'ont permis d'approcher ces idées d’une autre façon, de découvrir avec plaisir aujourd'hui la pensée de ce philosophe en avance sur son temps, et d'en nourrir ma pratique professionnelle : rester au plus près de ce qui est exprimé, intégrer combien le mouvement est au coeur d'un processus de changement.
Pour les plus curieux, ici le 1er cours donné par Michel Onfray sur Georges Politzer dans le cadre de l'Université Populaire de Caen en 2011.